Lombard Odier et les fonds suspects espagnols

Les nuages noirs s'accumulent dans le ciel de Lombard Odier. La banque privée genevoise (qui renoncera à ce statut en fin d'année) voit une affaire de fonds suspects ternir sa respectabilité après que son nom ait déjà été cité dans le cadre de fonds suspects ouzbeks (instruction en cours), au cours de l’affaire Madoff (non impliquée, la banque a tenu le simple rôle de banque dépositaire) ou de la manipulation des taux Libor (un de ses anciens salariés a été inquiété pour des activités antérieures à son arrivée).
Dans cette affaire espagnole, Luis Bárcenas, ancien sénateur de Cantabrie et ex-trésorier du Parti Populaire (PP) jusqu'en 2009, est soupçonné par la justice espagnole de corruption et d’avoir géré, pour le parti conservateur du premier ministre en exercice, une caisse noire. Depuis 1999, il aurait placé sur de multiples comptes ouverts dans des établissements bancaires de Genève et Lugano d’importantes sommes d’argent (en 2009, la somme détenue se serait élevée à 30 millions d’euros). Après 2005 et son élection au poste de sénateur de Cantabrie, il aurait mis en place un système de sociétés et fondations pour gérer ces fonds.
Le parquet de Genève a ouvert une enquête alors que des investigations sont déjà en cours en Espagne sur ce dossier. Des documents ont été remis par les personnes en charge de ces dossiers et les premières révélations n'ont pas tardé, permettant notamment de détailler le mécanisme.
Du côté de l'établissement bancaire genevois, les responsables précisent seulement avoir « respecté les obligations vis-à-vis d’avoirs qui ont été régularisés en 2012 dans le cadre de l’amnistie fiscale espagnole et d’un bénéficiaire contre lequel aucune charge n’a été retenue à ce jour, comme a pu l’affirmer la presse espagnole ». Et d'ajouter que la banque « coopère pleinement avec les autorités sur ce dossier ».
Lombard Odier chargé par un prête-nom
Ivan Yañez, prête-nom de Luis Barcenas dans le montage financier, n'est pas aussi discret. Face aux enquêteurs, il aurait livré une version des faits défavorable à la banque genevoise. « Lombard m’a fait remarquer que la banque aurait été plus tranquille si, avec son nouveau statut de sénateur, Luis Bárcenas disposait d’une fondation au lieu de comptes personnels », a-t-il affirmé lors d’une audition dont l’enregistrement a fuité et que Yves Steiner, journaliste à la RTS et auteur du blog spécialisé Lombard Street, et son collègue Marc Renfer, journaliste à rtsinfo.ch, ont pu se procurer. Cette version est fermement réfutée par la banque « en raison de sa nature fausse et mensongère ».
Reste que cette nouvelle affaire ne contribue pas à restaurer le climat de sérénité autour de la banque genevoise. Après que son nom a été cité plusieurs fois ces derniers mois dans diverses affaires (parfois en tant que témoin, parfois sans être directement impliquée), cette instruction tombe mal. Un climat plus serein aurait été préférable pour faciliter le passage en société en commandite par actions et abandonner le statut historique de banque privée. Un choix qui a été analysé par certains comme une mesure de protection des actifs des administrateurs, après le destin tragique de Wegelin. Et la multiplication des évocations (directes ou indirectes) de la banque dans diverses affaires ne peut que rendre ce choix plus crucial encore, alors que l'établissement financier vit une période charnière de son histoire. Là encore, la banque relève que « les affaires évoquées sont sans lien et sans impact avec la forme juridique actuelle et future de l’entreprise ».