Tout savoir sur l'exil fiscal des Français en Suisse
Il y a autant de fantasmes et d’amalgames sur ce sujet car la pression fiscale a augmenté aussi bien sous les gouvernements de gauche que de droite (le gouvernement Juppé a déplafonné l'impôt de solidarité sur la fortune en 1995, proposition de taxer les exilés fiscaux)», explique Manon Sieraczek-Laporte, avocate fiscaliste française, auteur de «Exilés fiscaux: Tabous fantasmes et vérités» (Editions du Moment).
La «cellule de dégrisement» comme déclencheur
«Au départ, il y a eu cette volonté de Nicolas Sarkozy de faire revenir les exilés fiscaux. Une "cellule de dégrisement" a été mise en place pour faciliter leur retour. Mais beaucoup de Français installés à l'étranger ne seraient pas revenus (même si plusieurs milliards d’euros ont été rapatriés). Et ceux qui se sont intéressés à ces dispositifs ont fait preuve d'une telle prudence et de tant de précautions que j'ai souhaité comprendre le problème dans toutes ses dimensions», raconte l'avocate française.
Et la voilà partie pour plusieurs mois, d'entretiens, de rencontres, de recherche. De frustrations également, notamment en matière de données chiffrées. A de nombreuses reprises et auprès de différentes administrations, Manon Sieraczek-Laporte n'a pas pu obtenir de données chiffrées sur l'exil fiscal.
«Le canton de Vaud, un exemple de démocratie»
Impossible de rapporter des données précises chiffrées à l’exception du nombre d’assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune. Une absence de données qui peut être soit liée à une difficulté de collecte et/ou de traitement des informations, soit à une éventuelle volonté de ne pas dévoiler les chiffres.
«On est là très loin de la transparence des informations des autorités fiscales de certains cantons suisses à l’égard de ses administrés: sur ce point, le canton de Vaud constitue selon moi un exemple de démocratie», constate l'auteure.
La Suisse est d'ailleurs incontournable dans son ouvrage. En tout premier lieu car c'est sur le sol de la Confédération que réside la plus grande communauté de Français hors de l'Hexagone avec près de 200'000 ressortissants. C’est la première destination des Français qui s’installent à l’étranger.
L'image de la Suisse en France
Mais aussi car les différents cantons, notamment romands, ont su attirer des exilés célèbres dont les démêlés avec le fisc français ont défrayé la chronique. Pourtant, Manon Sieraczek-Laporte l'affirme et le répète: «La Suisse n'est pas un paradis fiscal selon les critères de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE): les impôts ne sont pas insignifiants.»
Les raisons de cette image trompeuse en France? Le départ pour la Suisse de nombreuses personnalités depuis plusieurs années et l’absence de confiance dans la zone euro. Mais aussi le secret bancaire et le rôle de certaines banques qui auraient pu encourager la fraude fiscale.
Genève est décrite comme «une ville où il ne se passe rien»
Pourtant, sous la plume de Manon Sieraczek-Laporte, portée par les témoignages des exilés, le portrait de la Suisse n'est pas idyllique pour tous: «La Suisse, c'est un mouroir», affirme même un de ses témoins qui a tenté plusieurs destinations. Genève est décrite comme «une ville où il ne se passe rien».
Pourtant, l'avocate énumère les grands noms installés ici, et rappelle le nombre de ressortissants officiellement installés dans la Confédération. Mais elle s'empresse aussi de préciser les raisons qui sont multiples et non pas uniquement de nature fiscale.
Et donc de définir une typologie: l'exil fiscal en Suisse, c'est pour les rentiers, les sportifs, les artistes, les investisseurs privés familiaux soucieux de se retrouver dans un environnement familier, linguistiquement ou culturellement. Des personnes moins fortunées qu’avant aussi.
Pour les financiers, les jeunes entrepreneurs sans attaches, d'autres destinations (Belgique, Singapour, Londres, Etats-Unis) sont plus intéressants.
Le climat général français défavorable
Au fil d'une enquête passionnante, étayée par des témoignages nombreux (exilés, experts, élus), appuyée par un raisonnement basé sur les revirements législatifs français, Manon Sieraczek-Laporte décortique avec une précision horlogère un phénomène qui génère de nombreux fantasmes et amalgames.
Des fantasmes qui prennent appui sur un état d'esprit général en France jugé défavorable voire «délétère» par de nombreux entrepreneurs. «Ceux qui s'en vont le font souvent par dépit et après avoir beaucoup donné et tout tenté pour rester. Mais au final, ils jugent que la France est un vieux pays avec de vieux réflexes», constate Manon Sieraczek-Laporte.
Deux millions d'emplois perdus en France depuis une vingtaine d’années
La suppression de la cellule de dégrisement et les nouveaux prélèvements obligatoires qui surgissent n'incitent pas la spécialiste à l'optimisme: «Nous sommes mal partis pour voir les exilés fiscaux revenir. Pourtant, avec une régularisation possible (et non pas une amnistie), un allègement de la pression fiscale et une refonte du système d’imposition, l'Etat aurait tout à gagner en termes de rentrées fiscales», estime-t-elle.
Et en termes de croissance économique, les avantages seraient là aussi: la Fondation Concorde a estimé à deux millions le nombre d'emplois perdus du fait de l'exil des Français les plus fortunés et les plus dynamiques.
A ce rythme-là, ce n'est bientôt plus d'exil fiscal mais d'exode fiscal qu'il faudra parler pour la France. «Il y a dans ce pays un problème de consentement à l'impôt particulièrement aiguë. Les solutions sont pourtant simples: outre une refonte totale du système fiscal, il est indispensable de faire de la pédagogie à l’impôt, prévenir plutôt que réprimer. En un mot, inciter les exilés à revenir ou retenir ceux qui auraient envie de partir», conclut Manon Sieraczek-Laporte.